Tuesday, October 11, 2005

Un rêve à dormir debout


Ce soir est un soir comme les autres, j’ai dix-sept ans. Les mocassins de Valérie sont au pied de mon lit. Ce sont des «sébago classics » bleus marine, de taille trente huit. Elle les a oubliés un jour.

Mon lit est placé contre le mur gauche de la fenêtre. Je dis ça parce qu’à l’époque, je changeais toujours les meubles de place. Assise, je vois les mocassins éclairés par la lumière naturelle. Je m’allonge et m’évanouis dans les bras de Morphée, sans penser que cette nuit serait déterminante pour moi.

Les yeux mi-clos et la conscience en stand-by, je sais que ce matin est différent. Des bribes de rêve jaillissent à chaque fois que je ferme les yeux. Ce rêve est trop présent, trop fort, je suis chamboulée. Ma nuit a du être mouvementée car je sens les draps vrillés. La maison n’est pas encore réveillée. Je me redresse et pose mon dos au mur. Je vois les mocassins, je me souviens…


Valérie se tient là debout devant moi, sans que je la voie vraiment, ses yeux peut-être. Je suis rassurée et pleine d’interrogations, au vu des événements. Derrière elle, une fumée blanche tisse un épais nuage lumineux. Elle ouvre ses bas et mon être se dirige vers elle. Mais au lieu de me réconforter, les nuages s’ouvrent sur un décor en contre-jour. Je prends la direction indiquée. Le chemin est long pour arriver jusque là.

En chemin, je rencontre mes grands-parents paternels, souriants et heureux. C’est bizarre car tout ressemble à du carton pâte ou des images figées. En fait, le silence est écrasant et perturbe la vision. Mais dans le ressenti, on voit, on entend, on sent le Tout. J’ai vu des gens de ma famille que je ne connaissais pas et d’autres encore. Sans doute étions-nous liés par l’esprit, je ne sais pas.


J’arrive dans un lieu où les maisons et les boutiques ressemblent à un décor de western. Les rues sont désertes, Valérie est toujours là. « Ici, on ne manque de rien, regarde. » J’entre dans une des baraques où sont présentés des manteaux de fourrure. Je penche la tête et autour de mon cou s’est lové une queue de renard blanc. Je pense à ma mère, ça lui ferait tant plaisir mais c’est impossible, je sais. Je ferme les yeux et…


Je suis dans le vide, la terre devient de plus en plus petite, il y a des étoiles partout. Les planètes défilent ou c’est peut-être moi qui bouge. Des séquences d’images affluent si nombreuses que je ne puis dire ce que j’ai vu. J’ai seulement ressenti une grande pression émotive. Soudain, tout s’arrête, je flotte, l’infiniment grand rejoins l’infiniment petit, tout est là et c’est euphorie. Les planètes deviennent les têtes de bonzes rieurs, je ris.

«Ne sépare pas, ni les corps, ni l’esprit, ni les choses»

«Regarde la nature, elle sait si bien te montrer le chemin, observe »

« Parfois savoir n’est pas toujours bien, tu ne sais jamais »

«Chacun doit être à sa place, il en est ainsi des plantes, des rochers, de la terre, du vent et du ciel. Chaque chose tient une place importante »

« L’homme seul a le pouvoir de transformer les choses par sa propre conscience. Faut-il seulement l’avoir à l’esprit»


Sommes-nous si importants ?

Valérie dit : « demain, tu chausseras mes mocassins et tu verras »

Tu chausses du trente-huit et moi du quarante voire parfois du quarante et un.

Je me lève et les chausse instinctivement.

Je les ai portés jusqu’au jour où ma mère les jeta, ne croyant voir que de vieux mocassins aux semelles trouées.